Les éditions Girasole de Ravenne viennent de réaliser la traduction italienne du livre de Patrick Macquaire " Le quartier Picassiette ". L'initiative accompagne le soixantième anniversaire des villes jumelles Chartres-Ravenne et la cinquième édition du festival international " Ravenna-Mosaico ". Une reconnaissance pour Raymond Isidore dont l'oeuvre célèbre passionne les Italiens.
Un essai de transformation sociale à Chartres
Patrick Macquaire
Préface de Pascal Le Rest
Éducateurs et Préventions
ARTS, ESTHÉTIQUE, VIE CULTURELLE TRAVAIL SOCIAL
La cité de transit construite en 1954 sur les Hauts-de-Chartres, est une cité provisoire, une cité ghetto, faite pour durer. Raymond Isidore dit Picassiette, le balayeur du cimetière, ramasse les choses jetées, les morceaux de verre et d'assiettes dont il couvre sa maison : il devient mosaïste. Cet architecte singulier donne à Patrick Macquaire, chargé d'accompagner la réhabilitation du quartier, la matière d'une construction particulière, celle d'une Régie de quartier, cheville ouvrière d'une reconstruction des associations et des habitants. Les balayeurs deviennent alors des artistes, des mosaïstes...
Présentation de
Picassiette – Le jardin d’assiettes de Paul Fuks
Éditions Ides et calendes
Cataloguée dans l’art brut, l’œuvre de Raymond Isidore, dit Picassiette, est souvent considérée avec un certain dédain. C’est en méconnaître la richesse.
Le fait majeur qui la caractérise est qu’elle a été directement inspirée par les rêves nocturnes de son auteur – ce dont ont formellement témoigné sa veuve et ses deux beaux-fils. Or, dans la succession des rêves-mosaïques qui jalonnent le jardin de Picassiette, on voit s'entremêler plusieurs thématiques.
La plus évidente est un pèlerinage de Chartres à Jérusalem, bien dans la tradition chartraine et qui était le projet conscient de Picassiette.
Mais, comme dans les rêves où sous le discours manifeste se dissimule un discours latent, ici, sous le pèlerinage, se déploie un mythe christique de mort et de résurrection, dont on voit l’apothéose et le pathétique échec.
On peut aussi observer, à travers l’aventure de l’assiette cassée qui se reconstitue, une manière de méditation sur le multiple et l’unité.
Ce n'est pas l'assiette qui a inspiré le balayeur du cimetière de Chartres, mais son débris, pas la surface intacte, mais sa cassure. Il a trouvé dans cette porcelaine brisée, jetée au rebut, une image de sa pauvre vie. Et il a ramassé l'assiette cassée, comme on ramasse sa propre photo déchirée. Avec obstination, il a rassemblé les pièces du puzzle de l'assiette originelle, pour reconstituer celle-ci et, ce faisant, se restaurer lui-même, accéder à son unité. Ce fut l'œuvre de toute sa vie.
Alors que cette réunification s’est magnifiquement mise en images à la fin du parcours, elle n’est restée pour son créateur qu’une image non comprise, non appropriée, non intégrée et, de ce fait, s'est finalement dispersée, dissipée. Pour n’avoir pu passer d’une errance inspirée à une quête consciente, le bénéfice de l’effort s’est tragiquement perdu.
Néanmoins, si nous contemplons aujourd’hui cette œuvre, c’est qu’elle fait écho à une hantise de l'humanité parmi les plus anciennes et les plus constantes : celle suscitée par la sensation de morcellement de l'être et qui tente d'y trouver remède dans une quête de l'unité. Les mythologies en rendent compte, les religions y répondent, les philosophies y réfléchissent, la psychanalyse l’analyse.
C'est par tant de correspondances, tant de résonnances à travers les cultures et les siècles, que l'expérience de Picassiette, malgré l’échec personnel de l’artiste, est une victoire sur sa mort et qu’elle nous interpelle si puissamment. Si Picassiette n'a pas formulé cette grande interrogation de l'humanité à partir d'une conscience réflexive, s'il ignorait être traversé par de si vastes harmoniques, il eut le mérite de nous les donner à voir.
Paul Fuks